Un livre de Martine Derain, réalisé avec les artistes de La Source du Lion
Le parc de l’Hermitage est un petit territoire: 18 hectares, propriété de la Ville, l’un des rares espaces verts de la capitale économique du Maroc. Il jouxte les quartiers populaires de Nouvelle Medina, Derb Foqara ou El-Miter Bouchentouf, haut lieu de la résistance contre les Français et contre le régime de Hassan II. Créé sous le protectorat français, abandonné et devenu décharge publique, le parc est depuis le début de l’année 2002 un objet de passions: des citoyens, des artistes, des hommes politiques se sont mobilisés. Ils ont lancé un processus de restauration, qui s’inscrit dans le cadre plus général de la réhabilitation du patrimoine casablancais (et de ce qu’il était alors convenu d’appeler l’émergence de la société civile au Maroc).
Le récit commence en 1999, lorsque des citoyens associés à des artistes attirent le regard des autorités: Abdellah Zaâzâa, ancien militant de l’extrême gauche marocaine, et Eymeric Bernard, cinéaste, produisent ensemble des petits films documentaires et organisent des projections dans le parc et dans le quartier. En 2002, la Source du Lion, association d’artistes plasticiens, conçoit une intervention : la construction collective d’une maquette du parc au 100e, qui montre l’Hermitage dans son état réel, appropriations de l’espace public et ordures comprises… Exposée à la Villa des Arts en mai 2003, l’un des seuls lieux d’art contemporain de la ville, elle sera selon le souhait de ses auteurs un élément déclencheur de la réhabilitation: c’est le jour du vernissage que M. M’Hamed Dryef, wali du Grand Casablanca, déclarera publiquement ouvert le chantier «réel» du parc.
Deux semaines plus tard, les milliers de tonnes d’ordures sont évacuées. Pendant les deux années qui suivirent, les interventions des artistes, l’attention des responsables politiques et le soutien des habitants du quartier ont donné lieu à une expérience singulière, où ont été mises en forme des modalités d’actions et d’interactions qui ne peuvent être qu’inventées ici, où l’on souhaite préserver l’existant, s’appuyer sur les savoir-faire de chacun… J’ai choisi d’arrêter mon récit à la veille de la réhabilitation «lourde» du parc, lorsque le maire vient en personne présenter aux habitants le plan d’aménagement conçu avec les artistes.
Ce livre est né d’une invitation qui m’a été faite par la Source du Lion lors du workshop réunissant des artistes marocains et européens, organisé autour de l’exposition de la maquette. Chacun était invité à proposer une intervention. J’ai choisi de réaliser ce livre de poche pour transmettre cette expérience — mais toutes les questions soulevées ici résonnent avec celles que je peux me poser dans mon propre travail. Je travaille ici les matériaux que j’affectionne : paroles, informations, photographies, documents… J’ai choisi de porter attention au presque rien, aux petits gestes – mais qui ont tous été des éléments déclencheurs essentiels. Je fais la part belle aux images qui ne sont pas ou ne seront plus montrées, telles les photographies prises au cours du repérage nécessaire à la construction de la maquette. Les Editions Le Fennec, Casablanca, ont choisi d’éditer mon livre : c’est le premier numéro de leur toute nouvelle collection Poche Patrimoine. Un petit format, bon marché, aujourd’hui diffusé aussi bien en centre-ville que dans les petites librairies de quartier, un petit livre que j’aimais voir comme une invitation à la promenade sous les eucalyptus du parc… (et une invitation à l’action?)
Décembre 2008: les travaux de réhabilitation engagés par la mairie viennent de commencer. Arbres arrachés, tracés de lignes droites (plus de courbes ni de cachettes), quadrillage, alignement de plantations, ateliers des enfants détruits… Plutôt que de construire la forme possible d’un projet commun, c’est la tabula rasa, d’un désir, d’un processus, d’une recherche, qui se réalise. Sans doute réinterroge-t-elle les rapports conflictuels des artistes et du pouvoir ou le rapport de l’art à l’action, mais sans rien ôter de la puissance des gestes poétiques ni de l’expérience du monde qu’ils nous proposent.
Martine Derain, mai 2009
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Remerciements particuliers à Marie-Pierre Anglade, architecte-sociologue devenue artiste peintre, pour son accompagnement sensible. Nous vous invitons vivement à consulter sa thèse de sociologie de l'urbain soutenue en 2015 sous la direction de Françoise Navez-Bouchanine, Nora Semmoud et Agnès Deboulet : "Casablanca, une ville à l'envers. Urbanités métropolitaines au prisme de la marginalité sociale au Maroc".
Illustrations : La maquette du parc, Délégation du Ministère de la Culture © SDL / Himalaya © Nawal Slaoui
En consultation à la Bibliothèque Kandinsky Centre Pompidou et à l'Institut National d'Histoire de l'Art
Disponible à Marseille sur commande : editionscommune@free.fr et au Maroc auprès des Editions Le Fennec et de la Source du Lion
Editions Le Fennec | Collection Poche Patrimoine | Casablanca, 2007
Format 12x17 cm, 256 pages, 103 ill. NB, 22 ill. couleur
Textes : français, anglais, arabe / Prix : 50 Dirhams/5 euros